Esse " Touchante cérémonie"

23 Septembre 1920

Esse (Charente)

Touchante cérémonie. Dimanche 5 septembre, grâce au zèle de M. le curé d’Esse, en présence de M. le maire, du conseil municipal et de M. le vicaire général Guy, a été béni en l’église paroissiale d’Esse, le monument aux Morts de la grande guerre. M. l’abbé Pichery fut l’orateur de cette inoubliable journée.

 Je ne puis dire tout le bien que je pense de ce superbe tableau dû au pinceau d’un artiste qu’ont captivé les rives de notre Vienne. Il a enchâssé son œuvre dans un joyau exquis. Un vieux cadre du même style que le retable de l’autel, en bois délicatement sculpté, fut heureusement extrait d’un grenier où depuis de longues années il avait été relégué. Il fallait un tableau digne d’un tel cadre, et le tableau est digne du cadre. M. Teillet est revenu à une idée originale et sublime déjà traitée de main de maître en l’église de Saint-Germain. Dans la tranchée le soldat est tombé face au ciel. Le Christ «  que j’aurais aimé d’un jaune moins vif ». le Christ sourit à cette victime du devoir pendant qu’aux pieds de la croix pleurent la mère et la petite fille de deuil. Dans le lointain s’estompent le petit village et le clocher de la vieille église les deux amours du soldat chrétien : Dieu et la famille ! Beaucoup de grandes villes envieront le monument de la petite paroisse d’Esse.

Au bas du tableau, sur une plaque de marbre rose, sont gravés les noms des vaillants qui ont versé leur sang pour la mère Patrie… ;

Hélas, quarante trois jeunes corps froids et glorieux qui reposent dans les plaines d’Artois ou de Champagne, aux pieds des Vosges bleues ou dans les ravins de Douaumont et Verdun. Comme ils seraient éloquents dans leurs simplicité s’ils pouvaient nous dire tous leurs sacrifices, tout leur courage et tous leurs héroïsme : Grâce à eux resplendit à nouveau la douce France, si belle que plus belle ne peut- être. Grâce à eux revit le pays de Charlemagne et de Saint-Louis, de Jean Hachette et de Jeanne d’Arc, de Condé et de Turenne, de Corneille et de Racine, le pays de d’Assas, de la Tour d’Auvergne et de Napoléon, le pays des grands penseurs, des grands évêques et des grands soldats. Grâce à ces martyrs la victoire nous a ri à pleines lèvres, elle a agité nos drapeaux déchiquetés peut-être mais glorieux, mais vainqueurs quand même. Quelle sublime page d’histoire !

Les deux Marnes, l’Artois, la Champagne, l’Argonne, l’Alsace, la Lorraine, l’Allemand battu et la Patrie quittant ses voiles de deuil ! … O France, sois fière de tes enfants. Plus de haine, maintenant, plus de division entre fils d’un même sol. Que la fraternité et la paix règnent de nouveau sur cette terre arrosée du sang de tous les Français sans exception !

C’est cette fête du Souvenir que la paroisse d’Esse a célébrée avec reconnaissance et amour. Pensons à nos morts, c’est leur sacrifice qui nous a sauvés Impies seraient ceux qui oublieraient un tel dévouement. Ingres a écrit que « la gloire était le soleil des morts. » Il faut que cette gloire soit éclatante et que gravant sur le marbre de nom de vos vaillants, nous proclamions partout leur abnégation, leurs souffrances, leurs sacrifices et leur héroïsme. L.P.